La sincérité

Comme beaucoup de gens sur internet, je renvoie une certaine image de moi sur ce blog, mais cette image n’est pas vraiment moi. C’est une image choisie, au moins partiellement. Il y a 80% de moi et 20% de ce que j’aimerais être, ou de ce que je crois être. Ce billet me présente d’une manière moins positive. Cela fait partie de la thérapie.

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J’apprends, petit à petit, ce qu’est réellement la vie en société. Pendant des décennies j’ai vécu protégé dans un cocon, gérant mes interactions avec mes semblables sans trop de difficultés.

Puis un jour je suis devenu responsable informatique.

Puis un jour je suis devenu conseiller municipal.

Puis un jour je suis devenu expert judiciaire.

Puis un jour j’ai ouvert un blog.

Depuis, toute ma gestion des interactions humaines a volé en éclat.

Avant, quand je m’énervais, quand je “pétais un câble”, mes amis me laissaient bouder dans un coin. Je ne faisais de mal à personne. Une fois ma mauvaise humeur passée, je grommelais des justifications et les interactions reprenaient. J’ai toujours eu mauvais caractère. J’étais un enfant gâté. J’étais un éternel étudiant. Il y avait derrière moi les hordes d’humains plus jeunes que moi qui fermaient leur gueule, parce que ça va bien, hein, et devant moi l’immensité des autres qui se battaient entre eux. Tant que le fracas des combats ne m’atteignait pas trop, je regardais le monde avec suffisance. J’étais con.

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En ouvrant ce blog, je me glissais dans un internet immense où j’exposais ma petite personne sans grand danger. Mais le fait est qu’il existe très peu de blogs où l’on expose le point de vue de l’expert judiciaire. Et cela a donné un coup de projecteur sur ma personne, alors que je ne m’y attendais pas.

Sur le coup, c’est très gratifiant.

Mais avec le coup de projecteur, viennent aussi les inconvénients : certains n’aiment pas, mais alors pas du tout, ce blog. Cela a donné l’affaire Zythom, avec les convocations au Tribunal et devant la commission de discipline de la compagnie d’expert judiciaire. C’était ma première confrontation à la détestation. En même temps, quand j’analyse bien l’histoire en question, c’est une microscopique aventure qui ne casse pas trois pattes à un canard. Et pourtant j’en ai beaucoup souffert. Je suis un con.

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En étant responsable d’un service informatique, je suis confronté à toutes les situations possibles et imaginables des pannes et problèmes, qu’ils soient dus à des causes matérielles, logicielles ou surtout à l’interface entre la chaise et le clavier. Toute l’année, je gère des problèmes, j’encaisse avec diplomatie, je défends mon équipe, je défends le point de vue de l’utilisateur… Bref, je fais ce que font des millions de personnes à travers le monde : mon travail de responsable informatique. J’aime résoudre des problèmes.

Sur le coup, c’est très gratifiant.

Mais voilà, quelques fois, rarement heureusement, je perds mon sang froid : je réponds un peu sèchement à un utilisateur. Celui-ci va prendre la mouche et le ton va monter. Pour peu que je sois un peu fatigué, je vais m’énerver. Hélas, je n’ai pas encore compris que, plus j’ai d’expérience (i.e. plus je vieillis), plus l’on attend de moi que je contrôle parfaitement mes nerfs, que je sois aguerri à toutes les chausse-trappes. C’est ce qui est sensé me différencier des jeunes ambitieux qui finiront par prendre ma place. Une à deux fois par an, je tombe dans le panneau et ça me revient en pleine figure, parce que je suis un con.

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Je m’intéresse de près aux affaires de ma commune, de ma région et à la politique en général. Pour avoir assisté à plusieurs conseils municipaux (dans les rangs du public), on m’a proposé d’aider à tenir un bureau de vote, puis à être sur la liste du futur maire. Et comme il n’y avait qu’une seule liste, j’ai été élu.

Sur le coup, c’est très gratifiant.

Mais passer des bancs du public au siège de conseiller municipal, cela attire un peu plus les regards des emmerdeurs et des envieux. Moi qui était tout content de pouvoir donner mon avis sur les aménagements de la commune, j’ai appris que beaucoup de monde considéraient les conseillers municipaux – bénévoles qui consacrent un peu de temps pour leur commune – comme les cibles favorites de leurs fiels, de leurs rancœurs, de leurs problèmes de voisinage. Et parfois, rarement heureusement, je leur dis ce que je pense. Et là, c’est le drame. Je deviens un monstre sans cœur, un ennemi à abattre, je deviens LA cible du moment. Je deviens celui qui a la prétention de juger les autres, leurs problèmes, celui qui ne pense pas comme eux, donc qui pense mal. Et parfois, je me rends compte qu’ils ont raison, que je suis un con.

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En devenant expert judiciaire, je me suis dit qu’en tant que savant, en tant que “sachant”, mes connaissances pouvaient être utiles à la justice. En prêtant serment devant le tribunal, j’étais très fier.

Sur le coup, c’est très gratifiant.

Mais quand toutes les caisses de l’État vous réclament des milliers d’euros (relire le billet URSSAF, CANCRAS et CARBALAS), même les années où aucun tribunal ne vous a désigné dans une affaire, quand les parties, pour gagner, vont jusqu’à mettre en doute vos compétences, vos méthodes, votre honnêteté, quand vous devenez le seul obstacle avant la victoire désirée, alors vous vous rendez compte que vous êtes monté sur un ring, que vous êtes entré dans une jungle dont vous ne connaissez pas toutes les règles. Après tant de coups, après tant de désillusions, je me suis rendu compte que les seuls dossiers qui pouvaient avoir mérité d’avoir eu envie de devenir expert judiciaire étaient les énigmes posées par les scellés que l’on me confie dans les instructions. Et comme la plupart du temps, il s’agissait de recherche d’images ou de films pédopornographiques, je me dis que je suis un con.

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En recevant une invitation à une conférence sur la sécurité informatique à laquelle j’avais toujours rêvé de participer (assis dans le public), j’ai ressenti une joie immense.

Sur le coup, c’est très gratifiant.

Ensuite, après avoir vérifié que les organisateurs comprenaient bien que je n’étais pas un spécialiste de la sécurité, que je ne souhaitais pas prendre la place d’un conférencier spécialiste du sujet, j’ai eu le bonheur de rencontrer des gens extraordinaires et j’ai pu apprendre beaucoup d’un domaine que je connais mal (lire “Mon SSTIC 2012“). Et c’est au moment où je stressais le plus en préparant ma présentation, qu’un imbécile a pris son pied à détruire ce blog et a cherché à me ridiculiser. Encore une fois, je ne pensais pas qu’un simple coup de projecteur puisse susciter autant de haine. Je suis un con.

Je voudrais qu’on reconnaisse mes compétences mais qu’on me laisse tranquille.

Je veux le beurre et l’argent du beurre.

Je veux encore rester un enfant.

Je fais surtout une allergie à tout ce qui ressemble au pouvoir.

En fait, je suis surtout le roi des cons.

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PS: J’ai écris ce billet un soir de déprime. En le relisant quelques jours plus tard, je me suis dit que j’avais eu une certaine lucidité. Cela va mieux maintenant. Je ne suis pas parfait.

23 réflexions sur « La sincérité »

  1. Sur ces critères je peux être fondé à prétendre au trône (selon Brassens nous serions 50 millions). Mais ces critères, je les réfute. Passons par la case Wikitionnaire:
    "Personne stupide, désagréable ou mauvaise à force de bêtise. "
    La connerie nécessite une notion de constance, de durée. Et sans doute de méchanceté.

    Une petite ou grosse humeur passagère, c'est du domaine de la soupape qui laisse échapper la surpression; ce n'est rien. Au pire vous êtes sanguin ou colérique.
    A mon sens, les cons sont ceux qui ne doutent jamais d'eux même, ce qui ne semble pas votre cas.

    Connement votre,

    Christophe

  2. Ce n'est pas tant vous qui etes un con, que ceux qui vous jalousent (affaire Zythom, attaque du blog, etc.) mais qui n'ont pas le courage d'exposer leurs opinions dans un débat ou de se lancer à votre place afin d'être eux aussi sous le feu des projecteurs.
    La ou vous avez été con, c'est de croire que ça n'attirerait pas les convoitises.

    S'énerver, perdre ses nerfs c'est tout à fait normal et qu'est ce que ça soulage 😀

  3. Cher Zythom, votre billet résonne chez moi d'une manière étonnante, à un niveau certes moindre.

    Le désir de bien faire, la prise de responsabilité, l'exigence de perfection (voire d'infaillibilité) que cela entraîne, et devenir une cible pour les mécontents.

    Tout ça pour quelqu'un qui aime juste le travail bien fait.

    Merci pour ce témoignage. On se sent moins seul.

  4. Bonjour Zythom…
    …sois le bienvenu en terre humaine ; aucun de nous n'est taillé dans le granit d'un bloc et chaque jour qui passe peut nous fortifier ou nous rabaisser jusqu'au 3ème sous-sol !
    C'est pas facile tous les jours, mais il parait que c'est ce qui fait le côté "fun" de la vie (enfin, il parait)…

    Merci d'être ce que tu es. 😉

  5. Le jour où tous les cons du monde
    Dans dix ans ou demain
    Danseront dans une même ronde
    Me tiendras-tu la main ?
    (Théozed – Nous et les cons)

    Bienvenue au club !

  6. >Ce billet me présente d'une manière moins positive.

    Cela fait plus billet "pleurnicheries" qu'autre chose.

    Une amie artiste m'expliquait que les informatiens étaient plus sensibles à ce genre de depression parceque, même si nous avions l'impression de créer quelquechose, cela restait dans le virtuel, et pas forcement partageable.
    "Rien de mieux qu'un tas d'argile pour créer"

    Je pense surtout que pour rester et se plaire dans ce taf, il faut etre curieux, un peu joueur, accrocheur, facilement émerveillé …
    Et que forcement avec ces traits d'esprit nous sommes des adultes immatures au moral en montagne russe : avec des hauts "champion du monde" et des bas abyssaux lors de la descente.

    Moi aussi je fais régulierement ma pleureuse…avant de repartir à l'attaque tete baissée et entousiaste sur un autre projet qui prendra 100% de mes cycles CPU (pauvre entourage…)

    • Ce n'était pas l'objectif recherché. Je pense que mon blog ne me représente pas du tout fidèlement, en particulier mon mauvais caractère et le fait que je suis parfois un peu… con. C'est ce que j'ai essayé de montrer ici.

      J'aime bien qu'on me demande mon avis, le donner et qu'on en tienne compte, mais je n'aime pas le prix à payer. Le prix du pouvoir, c'est de prendre des coups.

      En cela, je reste un enfant un peu naïf et trop protégé (d'où sans doute le côté "pleurnichard").

    • Il me semble qu'il y a ici une erreur d'analyse. Vous avec très certainement tous les défauts que vous soulignez, cependant vous faites l'erreur d'essayer d'en connaître la cause plutôt que d'essayer de changer ou de trouver un moyen de vivre avec.

      A ce propos, je n'ai pas trouvé de moyens entièrement satisfaisant de répondre à ce "cahier des charge" dans mon propre cas, mais j'ai néanmoins un début de piste à vous soumettre : acceptez-vous, avec tout se que cela implique.

  7. Hey mais non !
    Tu n'es pas un con, tu es HUMAIN.
    Au final, ce pourrait être chacun de nous. Se faire pirater le jour de sa conf sur le domaine informatique… ça mettrait tout le monde en rogne.
    On a tous une vie en ligne, une vie IRL, parfois les deux s'entrechoque. On va partager irl ce qu'on apprend en ligne, on va aller chercher sur Internet ce sont en a besoin là, tout de suite, dans sa vie de tous les jours.
    Et créer un personnage de toute pièce est bien difficile. parce qu'un blog, c'estça aussi, partager, s'engager, donner un petit bout de ce qu'on est…
    Donc non, vous n'êtes pas con, vous êtes humain.

  8. Pt'i coup de déprime? Les soirs d'hivers, c'est pas rare… on se lève, il fait nuit, on rentre, il fait nuit… et en plus y caille. C'est nul.
    Moi, je compense avec le chocolat. Ça fait grossir (sig!), mais on se sent nettement moins con: c'est plein de magnésium… 😉

  9. Ce billet curieusement me fait penser à l'agitation politicienne de nos chers membres de l'opposition. Sauf qu'ils n'ont pas assez de soirs de déprime.

    Beau billet, Le Tigre adhère. Et comme on dit, "il n'y que les cons et les moules qui adhèrent". Bouclé.

    ps: si vous ne l'avez pas lu, il y a ce livre réjouissant (idéal pour l'hiver) qui traite au sujet de beaucoup de type de cons de ce monde : https://www.quandletigrelit.fr/tristan-egolf-le-seigneur-des-porcheries/

  10. Perso en lisant le blog, j'avais plutôt l'image de quelqu'un de principes, engagé et qui a des idéaux. Je suis moi même un peu con l'essentiel c'est d'en être conscient et de pouvoir toujours corriger le tir. Souvent, d'ailleurs, je suis con par rapport à la médiocrité ambiante (là en plus je suis prétentieux…). Cela me fatigue. A bien réfléchir, Contrairement à vous je suis bien plus con en ligne.

    • L'image que l'on renvoie sur internet n'est pas conforme à la réalité. C'est tout au plus une facette de notre personnalité. Un peu comme le comportement que l'on adopte quand on conduit une voiture…

  11. Je ressens souvent la même chose sans pour autant être expert.

    Les luttes de pouvoir sont tout sauf des exercices de sincérité.

  12. "Le mort, il ne le sait pas qu'il est mort, ce sont les autres qui s'en rendent compte et qui sont tristes. Le con, c'est pareil."

    Partant de ce constat, on ne peut pas s'autoproclamer con! A moins de suivre la maxime du poète, "on est tous le con de quelqu'un"

    Ou alors, on peut se consoler en reprenant un extrait de jugement que racontait Eolas : "vous êtes un con, mais de qualité" 😉

    Bref, choisis ton camp, camarade!

  13. bien,
    enfin vous savez …
    vous le reconnaissez…
    alors, osez maintenant ! 🙂

    con-seil d'un vieux con
    resté longtemps un petit con qui s'ignorait.

  14. Une citation que j'aime beaucoup : 'Quand le sage montre la lune, le con regarde le doigt…'

    Merci pour tous ces billets. J'apprécie votre humanité de plus en plus.

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